Nous ne sommes pas Grecs ; nous nous sommes suffisamment battus pour cela. Malgré des siècles d'oppression et d'incessantes dispersions, nous avons conservé notre identité, le sens de qui nous sommes, de ce qui nous constitue. Nous détenons notre propre corpus de références. Que celles-ci soient considérées comme mythiques ou légendaires, ou comme éléments de notre histoire authentique. Dans tous les cas de figure, ces récits sont notre "trésor national" ; ils composent notre référentiel commun, notre substrat, notre culture. Alors pourquoi emprunter dans notre imaginaire, dans nos usages linguistiques, ce qui nous est étranger ?
Ainsi du mythe de Sisyphe...
Nous avons son correspondant dans le judaïsme pour exprimer le travail exténuant qui doit sans cesse être recommencé, et qui ne peut donc pas apporter de satisfaction à cet esclavage, à ce vol de temps, à l'aliénation à une puissance étrangère, à un monde idolâtre (extérieur ou intérieur). Voilà ce que raconte le Meam Loez :
"La première redevance que les percepteurs d'impôts égyptiens soutirèrent aux Israélites (devenus ainsi les esclaves du nouveau Pharaon) était l'obligation de fortifier Pithom et Ramsès comme centres d'approvisionnement pour Pharaon. Ces villes, jadis construites en tant que dépôts, n'avaient pu être utilisées parce qu'elles n'étaient pas fortifiées contre les envahisseurs. Les Egyptiens ordonnaient à présent aux Israélites de construire des murs autour de ces villes pour les fortifier (Rachi).
(...)
La Torah décrit ces villes comme des miskenoth. [Le mot miskenoth a la même racine que sakanah, signifiant danger]. La construction de ces villes étaient dangereuses, vu la hauteur des murs. Toute chute ou coup de brique étaient fatals.
[Le mot miskenoth est également lié au mot misken, signifiant un pauvre.] Une telle construction peut conduire celui qui l'entreprend à la faillite car, ayant établi un devis modeste, il aura à investir davantage dans cette entreprise qu'il ne l'avait envisagé au départ (Yeffé Toar p.6).
Selon une opinion, Pithom et Ramsès furent détruites par le son de la voix de Judah. Au moment où Joseph essayait de garder Benjamin, Judah s'emporta et cria si fort qu'il fit s'effondrer les deux villes. En réparation, Pharaon ordonna que les Israélites les reconstruisent (Yalkouth Reouvéni).
Les Israélites souffrirent terriblement de cette construction. [Les Egyptiens leur donnaient des matériaux de construction de qualité inférieure.] Dès qu'ils commençaient à construire, la partie précédemment construite s'effondrait. Certains disent que des tremblements de terre réduisaient constamment leur travail à néant, les contraignant à le recommencer plusieurs fois. Ils ne pouvaient même pas en éprouver la satisfaction du travail accompli.
Il n'est donc pas étonnant qu'un si grand nombre d'Israélites fussent engagés à la construction de deux petites villes d'emmagasinage. Aussi rapidement qu'elles étaient construites, des tremblements de terre venaient réduire le travail à néant" (Sotah 11a, Chemoth Rabbah).
Meam Moez Exode 5 Chemoth 2 p.15 Exode 1:11
Illustration : Le mythe de Sisyphe, Titien 1548-1549 (Musée national du Prado)
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