"Finalement, cette thèse n’aura jamais vu le jour. Une thèse… des signes s'ordonnant pour tenter de fournir du sens. Une thèse, non, mais un livre, oui peut-être. Un bel objet, une chose matérielle, lourde, pesante comme une sculpture, un catalogue, une partition et un album de timbres, avec des calques, des photos, un herbier et une bande-son, images en mouvement, carnet de notes sur vêtements et villages, vidéo de l'avenir. Tout cela à la fois. Vous ouvririez ce livre et il dirait d'abord si vous en avez le droit. Etes-vous Guinéen, Forestier, Femme, Neveu, Esclave ? N'ouvrez pas. Ou alors, ce sera à vos risques et périls. Car le livre s'appellerait "Les Hommes de Parole". Ceux qui, lorsqu'ils parlent, s'engagent à ne dire que ce qui doit être dit. Les cercles, niveaux d'accès de la parole initiée, non initiée, tu n'ouvres pas. Ou pas tout de suite. Ou pas entièrement…
Lis ce que j'écris. Là, au début. J'écris ce qu'ils disent tout haut, bien fort, devant tout le monde, femmes et enfants non initiés. C'est la parole à parler. Celle qui prévient. La parole pour être dite, ce qui doit être parlé avant que d'être dit. Tu peux lire ceci. Avance un peu dans le livre. Bientôt tu décrocheras. Le livre, petit à petit, ne te parlera plus à toi. Tu t'obstines ? Tu restes ? Alors le livre se fermera à toi. Ces pages-ci seront scellées. Pour en découvrir le contenu, il faut dissoudre la colle, décacheter la cire, rompre le pli.
Expliquer c'est sortir des plis. C'est une étape. Le repli contient les paroles à ne pas mettre dans toutes les oreilles, les paroles qui mettent en danger celui qui les entend et celui qui les prononce.
Après… tu as vu les mots prononcés, tu as entendu comment on doit précisément poser la question pour obtenir la bonne réponse. Tu as lu les images, senti les sons…
Alors le livre
Continue et tourne les pages, comme en vacances, avec facilité. Puisque les pages qui suivent montrent comment la vie s'y prend pour enrober le secret qu'elle contient en son sein. Elles parleront..."
Découvrir : Indices pour une recherche anthropologique: Identité des populations de Guinée dites "forestières" :
Amazon.fr FRANCE (papier et numérique) ici
Amazon.com US & ISRAEL (papier et numérique) ici
"Les photos de ce fascicule sont tirées de ma collection personnelle. Je les ai prises en Guinée forestière, lors d’un terrain de recherches anthropologiques dans la région de Macenta en 1991.
Cette collection particulière est celle d’une fête qui a duré une semaine : la 'montée des excisées', autrement dit la cérémonie de clôture d’une session d’initiation des femmes en 'forêt sacrée'.
Kpoboizéa accueillait à cette occasion environ 600 personnes. Quand je vécus avec ces villageois l’année qui suivit, je constate que ce petit village niché au coeur des plantations de café était composé en temps normal de 60 personnes, vieillards et enfants compris. Un tout petit village tranquille d’agriculteurs, à 12 km de piste de la sous-préfecture.
Je n’ai jamais créé l’occasion de retrouver par la suite ces hommes et ces femmes merveilleux, pour me souvenir avec eux de leur accueil simple, mais extraordinaire.
Qu’ils en soient ici tous remerciés".
Toutes les publications d'Ariela Chetboun ici
Comments