Mr Christmas est homosexuel (il le revendique), sans enfants (très probablement) mais il a un chien qui décore le canapé, et il est allergique aux vrais sapins de Noël (il préfère les copies synthétiques). Il n’a pas de traineau rouge mais un chouette pick-up truck vermillon, et ses lutins sont des vieilles dames. Pas de problème avec tout cela ; il a sûrement sublimé des souffrances enfantines dans son activité professionnelle (ce qui s’appelle être résilient). Ceci expliquant sans doute pourquoi il est devenu – avec beaucoup de succès dans cette nouvelle profession américaine très branchée - Interior Designer pour Holiday Home Makeover. Autrement dit, architecte d’intérieur spécialisé dans les décorations de fêtes traditionnelles.
Ce matin-là, je n’arrivais pas à sortir du lit et j’avoue avoir traîné en zappant sur Netflix (personne ne jette de pierre, ok ?). J’ai un péché mignon, une faiblesse, une coquetterie : j’aime les maisons, la déco, le rangement, le Feng Shui et tout ce qui commence par home (home-organizing, home-staging, home-editing and so…’home’). J’ai lu tout ce qu’a pu écrire Marie Kondo (que j’adore critiquer) et regardé tout ce que Netflix a pu sortir sur les tiny houses, le relooking de garages, les maisons pour milliardaires californiens ou les murs de soutien en bouse de vache recyclée (toujours pas de pierres, ok ?). Oui, c’est bien Ariela, l’étudiante en Hassidout, qui écrit…
Et ce matin de Hanouka frileux, le lendemain d’un Shabbat chaleureux à Jérusalem chez nos grands amis, je découvre Mr Christmas et sa folie commerciale païenne pour les décorations de Noël. Oh ! il y a un épisode sur… Christmukkah ! Je ne vais pas rater çà !
Christmukkah. Le combat symbolique entre les Grecs et leur philosophie matérialiste et Jérusalem et la lumière divine.
Pas assez calée en civilisation américaine pour faire une monographie complète sur le sujet. Je sais juste que c’est une tentative de combinaison / intégration / récupération / assimilation des Juifs et du judaïsme par les Chrétiens et la culture chrétienne outre-atlantique, histoire de réduire la fracture sociale et surtout, pour anesthésier la douleur du grand écart inévitable dans les couples mixtes et les familles dé-composées entre la tradition de Hanouka et celle de Christmas (Noël) : Christm-ouka.
Je suis comme toi, je viens de France. J’étais Juive en France et j’atteste que nos familles ne sont pas épargnées par ce phénomène de dissonance émotionnelle chaque année au mois de décembre. « Un sapin, c’est joli et ça sent bon, ça n’engage à rien (sauf pour les écolos). Ça ne dure pas longtemps ; tout le monde le fait ; les cadeaux c’est quand même sympa. Et puis toutes ces lumières, on ne va pas s’en priver. Même à Lyon ils le font. Maman, s’il te plaît ». Ou dans un autre registre « je suis invitée chez ma copine Marie le soir du 24. Ne t’inquiète pas j’allumerai avant (les bougies de Hanouka) avec toi ». Alors on essaie de composer. On met un sapin en plastique sur le palier et on garde les guirlandes de Noël parce que « c’est neutre », et on fait une orgie de cadeaux – un pour chaque soir, progressivement du plus petit au plus gros… « c’est la tradition » (je me demande toujours laquelle) histoire de retenir les ados à la maison ou pour que les plus petits ne se sentent pas frustrés ou exclus par rapport aux copains de l’école (laïque républicaine, il va sans dire).
Alors, Mr Christmas, qu’est-ce qu’il invente pour répondre à la demande de cette famille mixte (maman est juive et papa protestant et leurs trois garçons « élevés en tant que Juifs ») pour faire « ce qu’il faut » (Hanouka) sans frustrer papa auquel manque beaucoup la « magie » de Noël, son « atmosphère » et son « énergie » ? La maman précise : elle n’aime pas le côté « commercial » de la fête de Noël, et pour cause ! Elle ressent confusément que l’absence pathologique de sens à l’imagerie de Noël est recouverte par une fièvre acheteuse et une profusion dégoulinante de trucs inutiles). Pour voir l’épisode en question « A Tale of Two Holidays, Deux fêtes inoubliables ».
Eh bien je suis écroulée de rire ! Donc, Mr Christmas part dans le New Jersey aider les Radcliffe. Un drone passe au-dessus de la petite ville de Morristown pour nous montrer la structure urbaine de maisons upper middle class… et l’église du centre-ville en plan quasi subliminal (je l’avais ratée la première fois). Ça commence très très bien…
Présentation de la petite famille. Sur les trois garçons, un seul a un prénom juif (ça va être compliqué pour lui plus tard à se positionner…). Au briefe initial, ils expliquent que Hanouka c’est chouette : ils mangent des bonnes choses, il y a des cadeaux… mais ça ne fait pas « comme » Noël. En résumé, les grosses caisses de Noël jouent tellement fort qu’elles écrasent la petite musique de Hanouka, qui n’arrive pas à concurrencer.
Mr Christmas continue de lire la lettre de demande d’intervention que les Radcliffe lui ont envoyé. Ils y expliquent qu’ils souhaiteraient de l’aide pour établir une « tradition de jours de fête qui embrasse nos deux croyances et pratiques », d’autant plus qu’ils attendent leur 4ème enfant. Onomatopée désobligeante de Mr Christmas : waouh ! (ça fait beaucoup d’enfants !...). Quand on pense aux familles israéliennes, quatre c’est la norme, six ou sept, c’est sympa, dix ou douze, ça arrive aussi assez fréquemment.
Maman juive dit qu’ils ont jusqu’à présent échoué à mettre en place une atmosphère chaleureuse de Noël. Elle fait le constat que cela a été jusqu’à présent difficile de mélanger les deux fêtes. Mais oui, c’est vrai, on la comprend. Ce sont deux univers qui ne devraient pas se rencontrer. Mais eux, ils veulent non seulement les combiner et en faire un truc bien à eux… Mr Christmas pense que tout cela pourrait être très « fun ». Et il évoque « an intriguing situation »…
La stratégie de Mr Christmas pour relever ce défi est de construire une « toile de fond » commune aux deux célébrations, où aucune ne fait de l’ombre à l’autre. Il arrive dans la maison au moment d’Halloween : il y a des citrouilles partout.
Les Radcliffe évoquent leurs échecs successifs : mettre des étoiles de David dans le sapin de Noël. Ils expliquent surtout qu’ils ne parviennent pas à représenter les deux fêtes de manière équitable. Je croyais qu’ils avaient décidé d’élever leurs garçons en Juifs… Pourquoi faudrait-il que cela soit « équitable », d’autant plus que ce n’est pas le papa qui est en jeu (enfin je croyais) mais les enfants (transmettre des valeurs, une tradition, etc.). Aucun des deux ne s’y est retrouvé…
Maintenant, Papa (protestant) explique qu’ils élèvent les enfants dans le judaïsme, et qu’ils ne veulent pas leur faire un vrai Noël, parce que c’est une fête religieuse. Mr Christmas, qui dit avoir tout compris, réplique que l’important n’est pas que cela ressemble à Noël, mais que les enfants puissent ressentir l’excitation de l’attente de l’événement et la magie de la fête. Il n’a RIEN compris. L’important c’est avant, pendant et après. C’est se préparer, oui, et vivre intensément le présent, et conserver précieusement ce souvenir pour l’emmener avec soi vers l’avenir…
Le problème c’est qu’ils passent tous à côté de l’essentiel. Plutôt que d’essayer de vivre ces « celebrations », par exemple en étudiant, ou en voyageant, ou en étant invités, ils pensent… déco. Que déco. Pas de substance, mais les trucs qu’on va accrocher autour de soi pour essayer de « ressentir » quelque chose. Le contenant et pas de contenu. Ce qu’ils font d’habitude (une hanoukia à la fenêtre et des chaussettes de Noël au manteau de cheminée…). Papa protestant explique que ce qu’il aimait quand il était enfant, c’était les sensations physiques : aller dans la nature couper un sapin, les odeurs de feu de bois et les pommes de pin.
Maman juive pense que Noël est devenu une fête à ce point commerciale qu’on ne connaît même plus le sens du sapin. Qui le connaît d’ailleurs ? Elle a l’audace de dire à Mr Christmas que plus il y a de décorations, moins ça ressemble à une fête… sometimes.
Maman explique qu’ils font chaque vendredi un bon repas de Shabbat en cuisinant des bons plats et ses Halla. Elle ne veut pas que Noël ait l’air… d’un Shabbat. Alors elle invite Mr Christmas à passer un dîner de Shabbat avec eux. Ils font un lé’haïm, et trinquent en choquant leurs verres… à la française – une tradition totalement déplacée ici puisqu’elle permettait (depuis le Moyen Age) de vérifier que l’on n’était pas en train de s’empoisonner mutuellement, en entrechoquant les verres. Ce qui ne peut pas arriver a priori si on consomme du vin entre frères, au sein d’une même grande famille. Mr Christmas a au moins compris une chose avec ce Shabbat, c’est que la table juive, c’est central et que tout passe par là.
Déco donc. Mr Christmas choisit un thème neutre : les saisons et la nature. Valable chez les Juifs et les Chrétiens. Ça devrait le faire. Il met du lichen, des brindilles et des pommes de pin partout. C’est très joli, c’est indéniable. Et on se sent comme un petit nain qui rentre de la mine. Il a aussi remarqué que… les chandelles sont essentielles, pour Hanouka (c’est bien !) et pour Noël aussi (on en mettait avant sur les sapins qui avaient tendance à trop souvent prendre feu).
A l’extérieur, sur la façade, il place une menorah derrière une fenêtre, contrebalancée par un sapin de Noël (elle n’en voulait pas à l’intérieur il s’est donc dit qu’il pouvait en mettre un… à l’extérieur). Il place entre les deux… un cerf phosphorescent. Et ça, je trouve ça ENORME ! Sans le savoir, il a choisi l’animal qui symbolise… la présence divine, D.ieu, dans la tradition mystique juive ! Tzvi, le cerf, présent, et soudain absent. Qui apparaît et disparaît.
Toute l’équipe trouve cela charmant et très élégant et est d’accord pour s’inspirer de ce qu’offre Mother Nature pour trouver des idées de déco (on n’en sortira pas).
Les couleurs sont en conflit : le rouge/vert traditionnel de Noël hurlerait avec le blanc/bleu juif/israélien. Et il faut éviter le mélange rouge/bleu qui évoque plutôt… la fête nationale du 4 Juillet.
Ce qui m’a le plus choquée, c’est peut-être étrange, mais c’est que pour rendre plus dramatique la découverte par les Radcliffe de leur maison re-décorée, Mr Christmas leur demande de tenir une bougie allumée et… « 3, 2, 1 ! » de l’éteindre en soufflant dessus quand les guirlandes s’illuminent. Quand on connaît la symbolique du ner, de la chandelle dans le monde juif… on réalise combien on a perdu. La « magie de Noël » éteint la lumière de Hanouka. Christmas 1 Hanouka 0.
C’est rigolo. Comme toutes les femmes qui redécouvrent leur salon dans ce genre d’émission, maman juive s’écrit « Oh my God ! » (ce que le traducteur en français traduit évidemment par autre chose, ici « Bon sang ! ». Et papa protestant : « Oh my God, this is unreal » devient “La vache. C’est dingue”.
Les enfants découvrent leurs chaussettes de Noël suspendues dans l’escalier, parce que, selon Mr Christmas « pour montrer que les décorations de fête n’ont pas à rester à leur place traditionnelle ». Autrement dit que la tradition n’a pas besoin d’être traditionnelle, en fait en expurgeant le sens et le symbole de chaque élément, on finit par avoir une « tradition » intégralement vidée de toute signification, donc un truc facile à vivre, sans charge émotionnelle. Cette année, le Père Noël ne passera plus par la cheminée mais descendra par l’escalier…
The best, c’est peut-être les étoiles à CINQ branches qui trônent à côté de la hanoukia. Du moment qu’elles sont bleues comme le thème de la déco, tout va bien, non ? Et comme il y avait deux fenêtres donnant sur la rue, il a placé deux hanoukia, pour la symétrie…
Côté jardin, l’équipe de lutins a fait un joli travail. Dommage qu’ils aient accroché 32 lanternes. Ils auraient pu aller jusqu’à 36 – le nombre de chandelles que l’on allume pour Hanouka. Et pour fêter cela, Mr Christmas a apporté des chamallows à griller dans la cheminée d’extérieur (kosher, Mr Christmas ?...).
Mais comme maman est shootée aux hormones (elle est censée accoucher deux semaines plus tard), elle fait un big hug à Mr Christmas pour lui prouver combien elle est heureuse qu’il l’ait si bien comprise… Noël embrassant et serrant dans ses bras maman juive qui mettra bientôt au monde un petit Jésus (ça devrait tomber pas loin du 25 décembre).
Le discours conclusif d’autosatisfaction de Mr Christmas qui a réussi sa mission était définitif : il avait réussi à « bring those two things together » et leur donner un statut équivalent, alors que la famille avait choisi de délivrer une éducation juive.
Mais pourquoi vouloir mélanger ? Pourquoi ajouter ? Pourquoi vouloir à tout prix « l’égalité » ? La réponse est simple : parce que ni Noël ni Hanouka n’ont gardé leur sens profond dans cette course échevelée au chiffre d’affaires, aux cadeaux obligés et aux compétitions statutaires (qui a la maison la plus décorée ?).
Un « vrai » Noël, ça doit bien exister quelque part (je ne suis pas spécialiste même si j’en ai beaucoup fêté « avant »). Hanouka, je sais ce que cela signifie. Sur le plan historique, sur le plan spirituel et même dans ses dimensions mystiques.
Je sais qu’un Hanouka réussi c’est huit soirées de lumière, de bénédictions, de chaleur humaine, de famille et d’amis, de chants et de musique, de bonne cuisine à l’huile. La déco ? Moi je le fais à l’ashkénaze : chacun dans la maison allume sa hanoukia pour faire encore plus de lumière. D’année en année, je mets le même napperon en dentelle blanche, et je dispose des toupies peintes à la main, des pièces en chocolat et… quelques boules de Noël rescapées de ma vie exilique ! La seule chose qui peut donner et conserver son sens à cette installation rituelle : l’étude. Histoire, liturgie et exégèse ésotérique. Bonne fête de Hanouka à tous !
PS. Les Chrétiens ont vraiment beaucoup manqué d’imagination en créant Noël et en faisant naître le Christ un 25 décembre (cela ressemble beaucoup à notre 25 Kislev). Aucun d’entre eux ne serait capable de dire d’ailleurs pourquoi celui-ci naît « entre l’âne et le bœuf ». Nous pourrions leur souffler la réponse. L’âne (‘hamor en hébreu), c’est ‘homer, la matérialité que le Messie chevauchera quand il arrivera… de Rome ! Et le bœuf – en réalité un taureau car on le souhaite entier pour la dynamique générale du tableau – c’est Yossef ha Tsadik, dont descendra une fois encore… le Messie, Mashia’h ben Yossef. De plus, les lumières, les bougies, les guirlandes que les Chrétiens allument sont – mais dans le désordre – les « 36 chandelles » que nous allumons pendant les 8 jours de Hanouka (1+2+3+4+5+6+7+8).
S’ils placent une étoile au sommet de leur sapin, cela ne peut être que celle de David, celui dont descend l’autre messie, Mashia’h ben David, étoile qui doit guider tous les regards et donner l’espoir, jusqu’à la fin des temps. Et le sapin, il n’est pas sans rappeler la Menorah du Temple, notre hanoukia avec ses « branches » qui remontent sur les côtés… Je ne sais pas ce que représentent le rouge et le vert de Noël, mais je sais ce que sont le blanc et le bleu dans notre tradition : les couleurs du divin, le blanc du Keter, la lumière de la couronne divine et le bleu du saphir du trône céleste, tel qu’Ézéquiel le rapporte dans sa vision. Les deux couleurs qui sont devenues celles de l’État d’Israël.
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