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Les "yeux" de la communauté

Ariela Chetboun

Je vis dans un monde où… on peut trouver une explication à des rêves anciens jamais décryptés depuis des décennies. Au gré d’une étude, d'une lecture, d’un cours de Cabale ou de Hassidout, le voile se lève enfin, la lumière déchire soudain les brumes antiques de l’âme assoupie, l’évidence se révèle, ronde, joyeuse, parfaite. C’est ça !


Jeune, je rêvais fréquemment que je volais. Ni ailes, ni voiles, je m’élançais – ou j’étais propulsée malgré moi. Le démarrage a été laborieux. Je me souviens avoir, vers l’âge de 7 ans, péniblement décollé de quelques centimètres, en appuyant de toutes mes forces sur l’air, toute nue comme un bébé, le ventre ceint d’un énorme nœud en tissu rouge, juchée sur la corniche de la fenêtre de la chambre de ma grand-mère tunisienne.



Plus tard, je lâchai mes petits camarades qui marchaient en se tenant la main au bord d’une falaise, pour m’élancer dans les airs : j’avais simplement senti que c’était « possible ».

Vers l’adolescence, je zigzaguais entre les lianes d'arbres géants, à la vitesse d’un avion supersonique, ou je nageais entre les buildings, à grosses brassées, quelquefois poursuivie par je ne sais quels « méchants ».


Vers la fin de cette période d’apprentissage, je maîtrisai parfaitement l’art du vol, au point de réaliser des spectacles aériens, tout en grâce et en légèreté, jusqu’à redescendre sur le sol au ralenti, en me posant sur une pointe délicate.


Entretemps, j’avais découvert le « moteur » dont je dépendais pour m’envoler. La découverte était excitante et frustrante à la fois : je n’étais pas indépendante, je ne pouvais voler qu’avec « les yeux ». Il fallait que « les yeux » se posent sur moi et me transmettent, quoi, leur… énergie ?... leur volonté ?... leur sagesse ? Ainsi deux yeux sortaient de « l’écran » de mon rêve, et m’autorisaient à voler, et à voler très bien, en toute maîtrise. C’était devenu la condition. J’ai ensuite cessé de voler, sauf de très rares fois et j’ai béni ces moments d’affranchissement total.


J’avais bien ressenti que voler – pour moi – avait en même temps valeur d’élévation et de libération, d’extraction des contingences qui m’enserraient, des lois de la matière bien sûr, mais surtout de mon environnement – qui avait généré un perpétuel sentiment "d’étrangeté" à tout ce que je vivais, que ce soit à la maison, à l’école, dans la ville, etc. Mais jusqu’à ce jour, je ne comprenais pas ce que « ces yeux » signifiaient…


Quand j’ai rencontré dans les Textes ésotériques cette mention des « yeux », ces rêves de vol me sont revenus en mémoire et j’y ai trouvé le sens que ma raison cherchait depuis toutes ces années :

“Vous qui êtes sourds, entendez ! Vous qui êtes aveugles, observez et voyez !” (Isaïe 42,18). Le Tanya commente : « Selon une image ‘hassidique, l’âme, quand elle est emprisonnée dans le corps, est comparée à un homme dont les yeux auraient été soudés et qui est entouré par des fous. Même s’il est lui-même sain d’esprit, il sera conduit, à son tour, à adopter une attitude du fait de laquelle il sera considéré comme un fou. De même, l’âme est obscurcie par le corps, qui lui ôte les moyens de s’exprimer. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de lui “ouvrir les yeux” (Tanya, Iguerete Hakodesh, Chapitre 9).


Tinok ché nichba…


Il est dit que les Sages d’Israël sont « les yeux » de leur communauté, Einei ha’èda.

« Les “yeux” sont une expression se rapportant à l’extension et à l’éclairage de la Lumière de ‘Ho’hma », dit l’Admour ha Zaken dans son Tanya. C’est pour cela que les Sages sont appelés : “les yeux de la communauté” ». Le commentateur du Tanya ajoute : Ainsi, les Sages sont ceux qui, par leur sagesse, apportent la vision à la communauté. En effet, ils savent apporter une interprétation juste à ce qu’ils voient. Ils possèdent l’intuition et les connaissances qui les placent, d’emblée, sur la bonne voie". (Tanya, Iguerete ha Kodesh, Chapitre 13).


Ainsi, mon âme, prisonnière de mon corps, voulait s’élever et n’en trouvait pas les moyens ni le chemin, seule. Quelquefois elle s’échappait sans but et sans protection. Quelquefois, elle testait ses capacités immenses et revenait à terre, retrouver sa solitude.


Isaïe 35, 5 : “Alors, les yeux des aveugles s’ouvriront […]”. Les aveugles, commente le Tanya, ceux qui sont les plus éloignés, afin de rétablir la vision intérieure qu’ils ont perdue, ainsi qu’il est dit : “Élevez vos yeux vers le haut et voyez Qui a créé tout cela” (Tanya, Iguerete ha Kodesh, Chapitre 9).

Les énigmes que nous présente la vie – et les rêves en sont de magnifiques – nous montrent une porte fermée. Il est si bon de trouver la clef qui en ouvre la serrure. C’est la porte sur notre âme profonde…


Et comme l’écrit le Rav Chelomo Almoli dans son Pitrôn ‘Halomot (La Clef des Rêves. Traité d’oniromancie juive), à propos de Jérémie 29,8 : « Le simple rêve [les rêves nocturnes normaux des gens normaux] ne dépend pas de la volonté du rêveur, mais de la seule volonté divine ».


Illustration : Abraham Pincas, cabbaliste et peintre

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