« Le Créateur confie à Noé la tâche de construire une structure très particulière : une arche étagée et cloisonnée. Une structure suffisamment étanche et résistante pour qu’elle puisse s’opposer à la puissance des éléments naturels déchaînés à l’extérieur, le Déluge, et au travail, dirons-nous, de « décantation » intérieur. Doivent y être accueillis et rangés, en bon ordre et par paire, tous les animaux de la Création. Tout en haut, les hommes sont installés, en-dessous les bêtes, au-dessous d’eux, les déchets. L’ordre est donné par D.ieu de respecter une abstinence complète - pour les couples humains autant qu’animaux - durant tout leur séjour dans l’Arche. Dehors, les éléments font rage. Des eaux brûlantes et sulfureuses détruisent tout et recouvrent la terre, tuant toute vie terrestre. Au bout de quarante jours et quarante nuits, la terre est purifiée et renouvelée ; au-dedans de l’Arche, les choses sont organisées, pacifiées et structurées, le tout, au cours d’un processus qui aura duré une année entière ».
UNE ANNEE AVEC LA CABALE (extrait)
Secrets de la Torah et des Fêtes Juives
Livre 1/6 Genèse Berechit
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LIRE LA SUITE – Noa’h : apaiser les sens, canaliser le désir, structurer la psyché
« Pourquoi le Déluge, selon la tradition ésotérique ? Et que représente cette Arche, ainsi structurée ?
La parasha Noa’h couvre mille années et nous conduit de Noé à Abraham ; elle est donc structurante pour l’humanité entière. On évoque dans cette section deux constructions monumentales réalisées par l’homme par rapport à D.ieu : « l’Arche de Noé » et « la Tour de Babel ».
Concernant la première, la Tradition explique que, du temps de Noé, l’humanité était dans le Tohou. Les hommes étaient quasiment dépourvus de libre-arbitre, envahis qu’ils étaient de l’impériosité de leurs désirs. Seule leur importait leur quête permanente de plaisirs et la puissance de leurs outils pour créer - comme D.ieu et en utilisant Son langage - tout ce qu’ils pouvaient désirer pour satisfaire leurs convoitises.
L’enfance du monde... Des générations d’hommes dans une toute-puissance quasi-divine, mais dans l’incapacité de gérer leurs pulsions et manipulant à leurs fins le lashon ha kodesh – la langue de la sainteté - pour vivre des vies de plaisir en dehors de toute moralité, voilà ce qu’ils étaient. Ces « géants » en toutes choses fabriquaient ainsi ex nihilo des créatures, vivaient de longues existences de luxure (une épouse pour la reproduction et une femme pour le plaisir) et n’hésitaient pas à recourir à la violence pour obtenir ce qui leur résistait. Les émotions nées de ces désirs étaient essentiellement négatives : trop de désir, aucune structuration de l’élan vital. C’est à tout ceci que D.ieu voulut mettre fin.
Nous le comprenons maintenant : les « bêtes » qui doivent "entrer dans l'Arche" représentent les pulsions dont on dit qu’elles sont « animales », le désir, l’élan vital, l’ego de notre Tohou intérieur. L’Arche peut donc être comprise comme une métaphore. Celle d’une pensée, correctement structurée (les étages de l’Arche sont affectés à des fonctions particulières), où les « animaux » (les désirs dans toute leur vitalité), trouvent leur place harmonieusement, tiennent leur rôle de moteur à l’action mais ne débordent pas l’homme. La Torah nous enseignera tout au long des cinq Livres comment « sacrifier » notre part animale en sacrifiant des animaux, sur l’autel du service divin, selon des rituels précis qui servent à encadrer scrupuleusement cette violence.
Ce que Noé a apporté à l’humanité est essentiel à ce stade de son développement : le « repos ». Il a symboliquement proposé aux hommes de construire des « réceptacles » (une arche) capables de recevoir un message différent. Il a construit les kelim d’une humanité renouvelée.
La Hassidout nomme la parasha Noa’h celle de « la force de l’apaisement ». Si Noé n’a pas fait faire teshouva à sa génération, du moins en a-t-il sauvé les âmes. Il a enseigné à sa génération les modalités pour trouver l’équilibre, structurer la psyché, canaliser les désirs, calmer la recherche de plaisirs. C’est la fonction de l’Arche : la construction des « réceptacles » du message divin pour les Hommes, afin que l’humanité sorte de son enfance et entre dans sa maturité.
L’Arche est une structure symbolique visant à préserver ou retrouver l’harmonie. Au sortir de l’Arche, les choses rentrent dans l’ordre : les animaux s’engagent à s’unir désormais selon leur espèce. Et D.ieu assure que dorénavant, plus rien ne viendra suspendre le cours naturel des choses. La terre s’apaisant, le cycle du jour et celui des saisons perdureront. L’alliance est scellée avec l’arc-en-ciel, composé de toutes les couleurs harmonisées des sentiments divins (les sefirot).
L’enseignement à retenir ici c’est que chacun d’entre nous a la possibilité de construire son « arche » : structurer ses connaissances, ordonner ses expériences, élaborer sa vie psychique afin de canaliser son animalité et pouvoir, à partir de là, recevoir l’influx divin pour participer, grâce à son individualité ordonnée, au projet divin pour l’humanité. C’est cela être homme dans la pensée juive.
Dans la tourmente de l’adversité, entre et réfugie-toi dans l’Arche, reviens à la structure des choses : pense correctement et prie aux sources. Ressourcé, sors de cette tèva pour affronter l’adversité avec les bonnes dispositions : les bonnes pensées, la bonne vision ».
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Illustration : 11th century unknown painters - Noah's Ark
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